[REVIEW VF] Batman: Damned

Florian Dayras

Porte-étendard du DC Black Label, que vaut ce comics se voulant plus violent et mature que ses prédécesseurs ? Découvrez notre avis sur la production du duo Brian Azzarello/Lee Bermejo !

Damné, la définition: condamné aux supplices de l’Enfer. Dans BATMAN: DAMNED de Brian Azzarello et Lee Bermejo, le Chevalier Noir se perd dans les recoins les plus sombres de Gotham City, épaulé par un John Constantine qui l’aide à comprendre le surnaturel qui l’entoure. Porte-étendard du DC Black Label lors de son lancement en 2019, que vaut ce comics se voulant plus violent et mature que ses prédécesseurs ? Notre analyse de BATMAN: DAMNED, c’est tout de suite !

ℹ️ Il s’agit d’un repost, l’article ayant été rédigé et publié originellement en Novembre 2019. Depuis, il a subi quelques modifications. 

Couverture de l'édition française, par Lee Bermejo © DC Comics, Urban Comics

📘 Initialement disponible en trois chapitres en VO, Urban Comics a proposé le récit en version intégrale en librairie en Octobre 2019, coïncidant sa sortie avec Halloween. Il vous est donc possible d’acheter BATMAN: DAMNED en librairie ou en magasins généraux (Fnac, Cultura, etc.) au prix de 15.50 €.

1️⃣ BATMAN: DAMNED – LA REVIEW 

Synopsis :

« Le Joker est mort. C’est désormais une certitude. Mais qui, de Batman ou d’une menace autrement plus malfaisante, a pu mettre fin au règne de terreur du clown criminel ? Batman, retrouvé inconscient près du corps de son ennemi, est incapable de mettre ses souvenirs en ordre. Pire, il en vient à douter de la réalité elle-même. Pour l’accompagner, et le perdre un peu plus ?, le justicier reçoit l’aide providentielle de John Constantine au cours d’une enquête qui l’amènera à frayer avec les forces mystiques tapies au cœur de Gotham. »

BATMAN: DAMNED est l’un des derniers nés de l’écurie DC Comics et le premier comics à avoir été publié sous le DC Black Label. Vertigo ayant définitivement mis la clé sous la porte, les amateurs de comics matures où violence, sexualité et politique sont abordées se trouvaient laissés de côté. DC Comics va ainsi rassurer ses fans en assurant que les titres phares de Vertigo seront republiés sous le Black Label, tandis que ce dernier verra également naître d’autres récits, avec la promesse de laisser carte blanche aux scénaristes et dessinateurs, les comics proposés étant des one-shot qui ne suivaient pas la continuité des autres comics de chez DC. Une liberté artistique pour aborder des thèmes plus adultes ? C’est un grand oui ! Du moins dans les faits…

Brian Azzarello (HELLBLAZER, JOKER, 100 BULLETS) s’associe à Lee Bermejo (BATMAN : NOËL, JOKER, BEFORE WATCHMEN : RORSCHACH) pour proposer un récit que beaucoup pensaient être la suite de leur œuvre commune : le roman graphique JOKER, publié en 2008, qui avait séduit par son esthétique réaliste si particulière, mais aussi par l’articulation du récit à travers les yeux d’un sbire du Joker. Alors, dans BATMAN: DAMNED, on prend les mêmes et on recommence ?

John Constantine, dessins de Lee Bermejo © DC Comics

En premier lieu, ce comics n’est pas accessible à tous. Outre la violence graphique, le récit proposé par Azzarello peut se montrer difficile à suivre, tandis que la fin demandera plusieurs lectures pour pouvoir se faire sa propre idée du dénouement en lui-même. Les lecteurs assidus de Brian Azzarello seront néanmoins en terrain connu, puisque l’auteur aime à perdre ses lecteurs en écrivant des histoires qui n’ont de sens pour personne si ce n’est que pour lui.

En ce qui concerne le scénario, on tient évidemment quelque chose de remarquablement bien mené. Le lecteur se voit balader par la narration de John Constantine, qui prévient aussi bien Batman que le lecteur de ne pas s’attendre à une résolution finale claire et limpide. Constantine guide ainsi Bruce Wayne dans le récit, et son lecteur dans la vraie vie, dans un voyage de découverte de soi, dont la destination finale relèvera de notre propre choix. Le scénario prend son temps, et le découpage en trois gros chapitres (appelés livres) permet de faire des pauses, tout en nous perdant encore plus du fait du changement immédiat de situation entre ces derniers. Mais BATMAN: DAMNED a évidemment fait parler de lui pour son dénouement, aussi inattendu qu’incompréhensible.

Encore une fois mené par une main de maître, le scénario revisite complètement le mythe de Batman et de sa création. Certaines scènes de l’enfance de Bruce Wayne sont inédites, et abordent des thèmes rarement évoqués dans la mythologie du Chevalier Noir. Enfin, la perdition totale de Batman lui-même parvient à mettre mal à l’aise des lecteurs habitués à voir l’Homme Chauve-Souris faire face à n’importe quelle menace la tête haute.

La fin de BATMAN: DAMNED est captivante et sème définitivement le doute dans l’esprit embrumé de son lecteur. C’est à lui de déceler le vrai du faux : quelle partie de l’histoire s’est réellement déroulée, et quelle partie est une hallucination ? L’univers infernal de Batman est ici sublimé par les deux artistes, qui n’hésitent pas à critiquer ouvertement certaines croyances et religions à travers les paroles à double sens de John Constantine.

John Constantine et Swamp Thing, dessins de Lee Bermejo © DC Comics

L’art de Lee Bermejo continue de nous laisser bouche bée. Un travail détaillé, une proposition de paysage urbain crasseux, en décomposition, désespéré, et une ville piégée dans son propre enfer. La magie et le surnaturel au sein de l’univers DC sont illustrés par leurs figures les plus célèbres : John Constantine, Zatanna, Deadman… Des visages si familiers, mais pourtant éloignés de leur image traditionnelle, puisque passés sous le coup de pinceau d’un Lee Bermejo toujours autant habité par ses visions cinématographiques. Certains personnages sont sexualisés à outrance – Harley Quinn et Zatanna notamment – et certaines situations volontairement malaisantes – Constantine caressant la joue de Zatanna d’un air menaçant –, mais qui aident grandement à renforcer le désespoir qu’expulse la ville de Gotham. Mention plus qu’honorable à Swamp Thing, mélange de puissance brute et de grotesque inquiétant.

Bermejo a fait un énorme travail sur la couleur dans BATMAN: DAMNED : dès le début du comics, ça saute aux yeux, et on ne peut pas s’empêcher de comparer avec son comics JOKER, où il avait choisi une approche encrée plus traditionnelle. Ici, il nous inonde de textures aux couleurs luxuriantes et quasi chaleureuses, renforçant le surnaturel de certaines cases. C’est vivant et coloré, tout en maintenant une atmosphère pesante. Une vraie réussite sur ce point. Une chance également que le format des comics publiés sous le DC Black Label soit surdimensionné par rapport aux comics DC classiques, soulignant ainsi le travail incroyable de Bermejo.

© DC Comics
© DC Comics

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2️⃣ Dans les méandres de l’esprit de Batman – L’ANALYSE

⚠️ La fin de BATMAN: DAMNED est sujette à de nombreuses théories et explications, et nous vous proposons notre propre analyse de cette dernière. Nous vous conseillons donc de ne pas lire la suite de cet article si vous n’avez pas lu BATMAN: DAMNED !

Il est difficile de proposer une explication de la fin de BATMAN: DAMNED qui sera satisfaisante pour tous. Plusieurs niveaux de lecture sont présents dans ce récit, et chaque lecteur est libre de choisir la fin qu’il souhaite. Néanmoins, en décortiquant l’œuvre d’Azzarello et Bermejo, on peut assurer avec certitude certains points.

Bruce Wayne était mort depuis tout ce temps. La fin du récit voit Batman se retrouver à Crime Alley aux côtés de Constantine, la nuit où ses parents ont été tués. On découvre alors que Bruce avait également été tué cette nuit-là. Toute sa vie s’étant déroulée depuis ce moment était en réalité sa propre version de l’Enfer, où Bruce aurait fait un pacte avec l’Enchanteresse, dont il ne cessait d’avoir des visions pendant son enfance, elle qui semblait réclamer son dû. Et c’est pour cela que c’est un jeune Bruce qui apparaît lorsque Zatanna finit son invocation : Bruce vit dans son propre Enfer qui est Gotham.

À la fin du comics, il se rend à la morgue où il retrouve le sans-abri qu’il avait déjà croisé : il s’agit du Spectre, l’allégorie du Jugement de Dieu dans l’univers DC). Ce dernier intervient lorsqu’un individu va à l’encontre de la volonté de Dieu, et le juge. Il fait donc face à Batman, lui annonçant qu’il sait ce qu’il avait fait et qu’il est présent pour le juger suite à son acte.

© DC Comics
© DC Comics

Si Batman ne tue pas selon certains puristes, il le fait dans cette version du Chevalier Noir. Inconscient d’être déjà mort, il combat le Joker qui le blesse mortellement. Se sachant condamné, il s’inquiète du sort que réservera le Joker à Gotham lorsqu’il ne sera plus là. Pour simplifier les choses et alléger sa conscience, il ne va donc pas sauver le Joker de sa chute, et le laisse tomber dans le fleuve pour qu’il meure en même temps que lui. C’est pour cette raison que le Spectre apparaît face à Batman qui, en toute connaissance de cause, a laissé le Joker mourir.

L’absence de noblesse dans la mort semble aussi être critiquée par le Spectre. En effet, le Joker ne semble vivre que pour ce jeu de chat et de souris entre Batman et lui. Alors, si ce dernier venait à mourir, nul doute que le Clown stopperait ses activités criminelles qui n’auraient plus de sens à ses yeux, voire même se suicide purement et simplement. Ainsi, si Batman avait sauvé le Joker, puis était mort, le criminel aurait cessé ses activités, et la menace du Joker serait morte elle aussi. Et Batman n’aurait pas été jugé. Mais, puisque ce dernier ne l’a pas sauvé, il a définitivement empêché cette possibilité d’arriver, et a privé le Joker d’un choix. Batman exprime ses regrets quant à la mort de son ennemi, et se voit aspirer dans un conduit : peut-être un purgatoire, ou dans un vrai Enfer ?

Mais le récit ne s’arrête pas là puisque, à la manière d’une scène post-générique, nous assistons au dénouement du combat entre Batman et le Joker sur le pont : suite à sa chute, le Joker ne meurt pas et se relève pour nous offrir un plan ultra référencé à THE KILLING JOKE. Batman est mort, le Joker ne l’est pas. Quid du futur de Gotham ?

BATMAN: DAMNED est complexe : le Joker est-il réellement mort ? Batman l’est-il depuis le début ? Ou bien a-t-il passé justement un pacte avec l’Enchanteresse pour ne pas mourir à Crime Alley cette nuit-là ? John Constantine n’aide définitivement pas le lecteur – ni Batman – et nous prévient à travers sa narration cynique qu’il nous sera difficile de voir à travers le voile de la réalité.

Un petit air de THE KILLING JOKE, dessins de Lee Bermejo © DC Comics

3️⃣ La polémique de BATMAN: DAMNED

Comme indiqué précédemment, BATMAN: DAMNED est publié sous le DC Black Label, censé permettre aux auteurs de proposer des récits allant au-delà des règles de bienséances des univers canon. DAMNED était bien parti, en proposant de la violence, de la réflexion… mais aussi de la sexualité. Bref, un contenu définitivement ciblé pour les adultes, publié sous un label également pour adultes.

Nous assistons donc à une scène en particulier où Bruce se déshabille entièrement pour effectuer un scan corporel, laissant apercevoir dans sa silhouette son pénis. Et là c’est le drame. Aux États-Unis, c’est le choc. Les puristes condamnent immédiatement les deux cases où le bat-pénis apparaît et appellent au boycott du comics. DC Comics réagit immédiatement en publiant une nouvelle version numérique où les plans montrant le sexe de la discorde ont été modifiés : l’attribut de Bruce a été gommé en noir, et le tour est joué. La maison d’édition a donc eu peur des Américains conservateurs et puritains qui n’ont pas hésité à contacter directement Dan Didio, l’éditeur de DC, qui n’a pas hésité à s’autocensurer. Le tribunal d’internet a gagné la bataille en faisant pression sur DC, qui s’est défendu en stipulant que la nudité n’était pas essentielle à l’histoire.

Mais là n’est pas la question. Un récit publié sous un label destiné aux adultes et créé justement pour proposer du contenu mature et ainsi autoriser certaines libertés aux auteurs et artistes se retrouve censuré. Quel est l’intérêt ?

Sans compter que BATMAN: DAMNED propose des moments plus choquants dans ses pages qu’une silhouette d’un attribut sexuel naturel : une scène de quasi-viol, un meurtre par strangulation, l’évocation de violence contre les femmes, la dégradation d’un crucifix…

Il est d’autant plus ironique de constater que les versions non censurées de BATMAN: DAMNED se sont plus vendues aux États-Unis que les versions censurées.

La case de la discorde en version censurée, dessins de Lee Bermejo © DC Comics

4️⃣ LE BILAN

L’univers de BATMAN: DAMNED est magnifique. On peut regretter que le récit passe trop de temps dans l’esprit de Batman, délaissant le monde qui l’entoure, mais la détresse et la perdition de son personnage principal est si bien menée que le lecteur se voit obligé de suivre le Chevalier Noir dans sa quête de réponse.

Au final, ce comics pose beaucoup plus de questions qu’il n’y répond. L’atmosphère pesante, les graphismes étriqués et la vision finale de l’auteur sur la dualité Batman / Joker apportent une réelle plus-value dans la mythologie du Chevalier Noir. Un one-shot qui ravira les amoureux de récits surnaturels, mais qui ne sera pas à mettre dans les mains d’un novice. Mais aussi une œuvre magnifique à ajouter à sa collection !

L'AUTEUR D'ORIGINE

Wilhelm Bertieux

Ex-membre de l'équipe COMIX'TRÊME, actif entre 2017 et 2021.

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