[DOSSIER] Le Hip-Hop et les comics: Une histoire de culture

Nils Bonnefoy

La culture hip-hop et les comics, deux médias que tout sépare… ou presque !

La culture hip-hop et les comics ne vont peut-être pas de pair dans votre esprit. Et pourtant… Il existe de nombreux comic-books créés ou inspirés par le hip-hop: le HIP-HOP FAMILY TREE d’Ed Piskor et le roman graphique éponyme de Darryl « DMC » McDaniels pour ne citer qu’eux. Mais la relation entre ces deux monuments de la culture populaire va bien au-delà de ça ! Des références dans les chansons aux identités secrètes, en passant par l’appropriation de thèmes, les artistes de hip-hop ont une obsession pas si secrète avec le monde de la bande dessinée américaine, et ça se voit ! 

La variant cover signée Mahmud Asrar du second numéro de la série Howard the Duck éditée par Marvel en 2015, rendant hommage au groupe de hip-hop Run The Jewels.

1️⃣ Rappeurs et super-héros: Un gêne commun ?

Le hip-hop et les comics ont tous deux émergé d’une autre forme d’art. Les comics se veulent une déclinaison de la BD franco-belge, mais plus énergique, tandis que la musique hip-hop s’appuie sur le jazz, le funk et la poésie, de formes préexistantes de danse et d’arts martiaux ainsi que d’une myriade de styles visuels. Ces derniers sont mis en avant, en incorporant de nouvelles influences pour se réinventer continuellement. Ces deux cultures ont ainsi su se démarquer de leur base pour s’émanciper et se créer une identité propre.

De plus, elles comptent toutes les deux énormément sur la narration. Logique pour les comics nous direz-vous. Le récit est une base fondamentale du rap, du graffiti et de la bande dessinée. Qu’il s’agisse d’une chanson de détente, d’un tag représentatif de votre gang ou d’un comics retraçant l’origine d’un personnage, l’histoire est bien souvent plus importante que l’œuvre visuelle en elle-même, bien que – dans un monde idéal – les deux iraient de pair pour une contribution plus harmonieuse.

Graffiti représentant Spider-Man © Marvel

Mais le chemin des deux cultures bifurque quand il s’agit du moyen de raconter ladite histoire. Jay-Z ferait-il un bon auteur de comics ? Probablement pas, chanter une histoire diffère d’un schéma narratif de BD. Libre à lui de me contredire, mais le récit proposé par les comics ont tendance à vivre et à mourir sur des histoires continues, pas des tranches de quatre minutes.

Le hip-hop est une musique urbaine. La rue, les quartiers et les villes sont au cœur des lyrics des meilleures chansons de rap – affichant une certaine fierté parfois trop poussée au paroxysme. Ceci dit, que serait Batman sans Gotham ? Spider-Man sans New York ? Dans le même ordre d’idée, que serait la Californie sans Tupac et NWA ? Vous voyez où je veux en venir: certains comics incarnent les crédos du hip-hop.

L’environnement, le style hip-hop transpire dans certaines pages de nos héros, que ça soit flagrant comme Luke Cage – bien aidé par sa série Netflix faisant la part belle à Notorious BIG et Jidenna – ou plus discrètement à l’aide de caméos de stars. À l’inverse, certains rappeurs n’hésitent pas à s’approprier le style visuel du comic-book.

C’est la volonté de faire se mélanger et correspondre les éléments des deux cultures, parfois sans sens logique, mais qui nous inspire ce sentiment de fierté urbaine sur lequel le hip-hop se base.

Ci-dessous: Le clip Without Me d’Eminem reprend les codes des comics de super-héros.

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2️⃣ La nécessité de se réinventer

Mais puisqu’il ne faut pas se reposer sur ses lauriers, les créateurs dans les deux domaines se doivent de creuser plus profondément que jamais auparavant pour trouver l’inspiration. Le rituel de la recherche est ainsi une grande partie de ces deux cultures, creuser et chercher au fond des boîtes et des caisses des albums rares qui furent – en leur temps – révolutionnaires. Il y a un recyclage constant de l’ancien pour créer le nouveau – mais attention aux faux pas. Les comic books et le hip-hop sont jonchés de créateurs ayant justement confondu connaissances et créativité, en s’appropriant simplement d’anciennes créations et en jouant avec les morceaux des autres. Mais les meilleurs auteurs restent ceux qui écrivent à partir du passé, et pas seulement dessus.

Fin 2015, Marvel proposait des éditions variantes rendant hommage aux albums de rap les plus mythiques.

Rappeurs, rassemblement ! Comme il se doit dans ces deux cultures, le plus alléchant est quand les héros travaillent ensemble. Les groupes de rap et les équipes de super-héros sont constitués de membres individuels se nourrissant les uns des autres et œuvrant dans un but commun. En allant plus loin, l’art le plus parfait est créé lorsqu’une équipe est soudée: les rappeurs ont besoin de producteurs, les écrivains ont besoin d’artistes, etc.

L’un des points communs les plus évidents reste la présence d’alter ego et d’identité secrète. La plupart des super-héros gardent leur véritable identité cachée pour protéger leurs proches, de même que les graffeurs le font, car leur art est considéré comme illégal. Les rappeurs, quant à eux, ont des alias, mais qui ne sont pas destinés à les protéger, mais qui ont un autre but. Intimider l’adversaire – l’État, les forces de l’ordre, un gang adverse – et donner de la force au public, faire transmettre une énergie. Se créer une nouvelle identité c’est créer sa vérité, c’est se donner le pouvoir de réaliser ce qu’on veut. Certains rappeurs se sont évidemment inspirés des héros, les identités secrètes et diverses facettes de la culture de la bande dessinée – le Wu Tang Clan pour ne citer qu’eux.

Couverture de Wu-Massacre, un album du Wu Tang Clan.

Le hip-hop et les comics sont à la base une échappatoire, un moyen de s’évader, à la fois pour ses auteurs, mais aussi pour son public. Ce n’est que dans les années 1980 que les textes les plus pertinents virent le jour. Comme le dit si bien le regretté Stan Lee: « Le divertissement est l’une des choses les plus importantes dans la vie des gens. Sans ça, ils pourraient sombrer. »

3️⃣ Une question d’identité

Nous pouvons tous tomber d’accord sur le fait que la vie n’est pas toujours facile – et je mesure mes mots – et c’est là qu’une échappatoire est importante: le hip-hop, la bande dessinée, la danse et autres peuvent remplir ce rôle. Il y a la même force dans la musique hip-hop et dans les comics, qui nous entraînent dans leurs histoires, nous ouvrent de nouveaux mondes, nous font entrer dans une communauté où nous partageons nos goûts et nos connaissances. Du moins sur le papier, chaque communauté propose évidemment son lot de désaccord, mais qui tourne toujours autour de la même passion.

Ces fans investis maintiennent ces cultures en vie et les font prospérer. Ce sont ces communautés qui gardent les gens impliqués et qui les poussent vers l’avant, comme dans d’autres domaines: le gaming est un bon exemple de communauté dont les membres sont en constante interaction. Ces fans se servent également de ces cultures pour s’exprimer.

Le fandom et l’identité ont fait l’objet de nombre de débats au cours des dernières décennies. Les fans de hip-hop et de comics partagent le même système : après s’être identifié comme membre de l’une ou l’autre culture, l’étape suivante consiste à communiquer cette identité au monde : une évidence qui passe par notre façon de parler, de marcher et de s’habiller, dans les endroits que l’on fréquente et dans ses amis. Alors oui, les lecteurs de comics ne sont pas tous affublés de bretelles et de lunettes et ne passent pas leurs journées dans les magasins de comics, mais il y a d’autres façons de faire valoir sa valeur de geek, et il en va de même pour les fans de hip-hop et de bien d’autres domaines. Les conventions, les concours de cosplay, les concerts, les festivals, la mode, les séances d’autographe et les tatouages sont autant d’expressions de l’identité, et les fans de comics et de hip-hop forment deux des plus importantes cultures.

DMC, le super-héros de la rue créé par le rappeur DMC.

Enfin, elles ont toutes les deux pris énormément d’ampleur dans le monde entier. Les industries de la bande dessinée et du hip-hop sont beaucoup plus grandes qu’elles ne l’étaient il y a dix ans. Avec les films de super-héros qui amassent des millions au box-office, il s’agit moins de la vente de livres et plus de ce que les productions peuvent faire avec ces personnages. La culture hip-hop n’est pas en reste, et demeure un phénomène mondial, attirant des foules énormes, organisant des concerts aux quatre coins du monde, proposant de nouveaux sous-genres et réalisant des chansons pour les blockbusters. Oui, le côté commercial des deux cultures a profondément affecté la façon dont les artistes créent – pression et interférence des labels ou des éditeurs par exemple – mais tout n’a pas été mauvais. Les deux ont bénéficié des plus grandes communautés de fans et ont influencé artistiquement et visuellement bon nombre d’autres cultures.

En guise de conclusion, une galerie des meilleures couvertures de comics Marvel calquées sur les jaquettes des albums de hip-hop les plus importants, saurez-vous les reconnaître ? 

© Marvel
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© Marvel
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© Marvel
© Marvel
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L'AUTEUR D'ORIGINE

Wilhelm Bertieux

Ex-membre de l'équipe COMIX'TRÊME, actif entre 2017 et 2021.

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